Claude RIEHL : <<He drew in SILENCE. & put himself upon his defence : ! – />>

“Man kann eines Genius Werke nur verstehen ganz wenn man es halb nachahmt oder übersetzt.”  Jean Paul

“Man wird behandelt wie ein Schuhknecht.” Arno Schmidt       

          Pourquoi avais-je choisi en cet automne 1993 de traduire ces quelques pages de Zettel’s Traum (547 à 552)? Si mes souvenirs sont bons, ce ne fut qu’après l’achèvement de ma traduction  qu’Érik Bullot de la revue Antigone [1] me demanda s’il existait un texte d’Arno Schmidt sur la foudre qu’il pourrait publier dans un numéro spécial rassemblant entre autres des contributions de Jacques Roubaud et de Peter Greenaway. Heureuse coïncidence? Peut-être.

         En fait, au cours des années précédentes, j’avais traduit coup sur coup Abend mit Goldrand, Enthymesis, Brand’s Haide, Seelandschaft mit Pocahontas, Die Umsiedler, Berechnungen III et Schwarze Spiegel, et je me retrouvais brutalement stoppé dans ma lancée. Je désirais traduire plus que tout le recueil de nouvelles Kühe in Halbtrauer (Vaches en demi-deuil) mais le contrat tardait à venir, les éditeurs traînaient les pieds (malgré des chiffres de vente somme toute honorables), des conflits de personnes avaient aussi empoisonné mon existence de traducteur (avec cette épouvantable tentative de captation de ma version de Brand’s Haide!). De plus, ma correspondance avec Ernst Krawehl qui avait été depuis le début un soutien moral et intellectuel de premier ordre s’était tarie petit à petit depuis qu’il était entré dans une maison de retraite. Entre-temps j’avais pris contact avec les gens de la Fondation Arno Schmidt, l’accueil avait été chaleureux, mais vu les souvenirs encore cuisants du conflit qui avait opposé si longtemps et avec une telle âpreté S.Fischer Verlag, Ernst Krawehl et la Fondation, je ne savais pas vraiment sur quel pied danser.

          Je décidai donc de réagir contre cette espèce de contrariété qui menaçait de devenir mélancolique, en me propulsant au cœur de ZT pour en extraire un modeste “cadeau d’automne” (“Herbstgeschenk”) destiné aux quelques personnes de ma connaissance intéressées par la cause schmidtienne en France. Le résultat en fut ces six pages traduites, reproduites conformément à l’original, format DIN A3, que je distribuai à l’occasion de la Foire du Livre de Francfort de 1993 dans des grands cartons verts ou roulées dans des tubes postaux.

          Je dois avouer qu’à ce moment-là je n’avais pas lu le papier de  Jörg Drews (in Bargfelder Bote, n°164-165; April 1992) où il déclarait : “...selon lui [Holger A. Pausch in : A.S. Reihe <Köpfe des 20. Jahrhunderts>, Nr.116, Colloquium Verlag, Berlin, 1992], les romans tapuscrits refuseraient <tout bonnement> la traduction. On se demande alors comment Claude Riehl et John E. Woods ont réussi à nous donner dans deux autres langues des versions remarquables et brillantes de Abend mit Goldrand (et qui connaît John Woods sait qu’il pourrait aussi traduire <ZT> s’il le voulait, ce que du reste il ne fait pas pour de bonnes raisons.) Si j’avais lu cela à l’époque, j’aurais sans doute été piqué au vif, mais ma réaction aurait été la même : entreprendre ce qui à tout le monde semblait impossible dans une autre langue que l’anglais. J’aurais réagi par esprit de contradiction, considérant que le “challenge” résidait précisément dans cette “autre langue”. Combien de fois avais-je envié l’anglais de John Woods qui se moulait parfaitement sur l’original par sa syntaxe et l’euphonie entre les deux langues, alors que je suais sang & eau pour forcer les signifiants du français à “parler en Schmidt”!

          Jörg Drews avait parfaitement raison : ma version était peut-être remarquable mais celle en anglais de John Woods était brillante. Je ne m’attarderai pas ici sur les facilités qu’offre la langue anglo-saxonne pour la traduction de l’allemand  et ne veux en aucun cas rabaisser la superbe performance de John Woods. Surtout que ces facilités ne vont pas parfois sans poser des problèmes. Schmidt lui-même, d’après ce que j’ai entendu, n’avait pas manqué de critiquer le ton “trop familier” de la langue d’arrivée à l’œuvre dans Evening Edged in Gold...(comme il avait rejeté en son temps d’un geste de la main les traductions de celui qui fut pour lui ce que fut Baudelaire pour E.A. Poe, c‘est-à-dire Jean-Claude Hémery).

          J’avais choisi sciemment la scène du duel entre Paul & le Jaune en partie parce qu’elle préludait directement à la grande scène des métamorphoses autour de la BullenKuhle (“la mare aux taureaux”). Je m’arrêtais à l’endroit même où le “jus gris” commençait à agir sur Dän & Paul. En intitulant cet extrait Fulgurites lingolsheimois n°1 (Lingolsheim est l’endroit où j’habite, non loin de Strasbourg en Alsace), je tentais d’indiquer aussi qu’il y aurait un n°2 , un n°3, etc., c’est-à-dire que j’attaquerai aussi la grande scène des métamorphoses, considérée comme le passage le plus dense et ardu de tout le livre. Et je l’aurais fait pour la Foire du Livre suivante, si les circonstances n’en avaient pas décidé autrement.

         Je ne sais pas vraiment si je le fis pour “de bonnes raisons”, mais cette séquence offrait en soi des raisons suffisantes pour attirer une traduction. D’une construction remarquable, elle nous fait transiter en douceur vers le fantastique; on comprend très vite que ces pique-niqueurs ne sont pas très catholiques. Et lue à la lumière des Juvenilia, elle révèle au lecteur combien l’univers de Schmidt est cohérent à travers les années, que rien ne se perd, que tout est toujours présent, qu’à tout moment un bicycliste peut surgir avec un manuscrit ancien sous le bras, ou que le chant d’une “créature chantante” droit sortie de la Loge invisible de Jean Paul peut devenir le chant d’une machine agricole dans un endroit perdu (Kaff) de la Lande de Lunebourg. Sans doute n’est-ce pas le lieu de commenter ici cette séquence (la traduction étant déjà en soi un commentaire). Mais il faudrait peut-être quand même se demander pourquoi ces personnages de La Maison de la Holetschkagasse (Das Haus der Holetschkagasse), Sizisso, Quasor & Gwundl, surgissent à ce moment précis, et si Schmidt revient ici à son roman de jeunesse pour en donner sinon une clé du moins une lecture “déniaisée”, sachant que la colonne de gauche s’intéresse aux queues des castors et que l’affaire qui occupe les protagonistes de la colonne du milieu est un duel à l’épée dont l’issue se résume par un “fleuret double” fendu en deux par une canne-épée qui joue avec la foudre. Rajoutons à cela le thème récurrent du double (William Wilson), de l’échange Dän-Paul (la veste de cuir verte gisant dans l’herbe) et le fait que le Jaune reparaît vers ZT 1129 devant une baraque de foire pour combattre un Rouge très vindicatif, et il y en aura déjà bien assez pour donner du pain sur la planche à tout “déchiffreur” qui se respecte.

        Difficile, la traduction? Si je me souviens bien, je dirais : non, ce passage ne fut pas plus difficile à traduire que bien des séquences de Soir bordé d’or ou de Caliban sur Setebos. Mais il va de soi qu’une telle traduction implique une connaissance intime de l’œuvre, une pratique toujours actualisée qui permet des recoupements. Je dirais, quelle que soit la langue d’arrivée, il faut que le traducteur se rapproche le plus possible du lecteur idéal de la langue de départ qui comprendrait tout. Et pour la traduction de n’importe quel texte d’Arno Schmidt, il est indispensable que l’univers schmidtien résonne à tout moment, qu’on soit capable de rassembler toutes ses parties dès qu’on les convoquent, ne serait-ce que pour traduire tel ou tel mot ou repérer rapidement une citation cachée. Dans le cas de ZT, cet effort est stimulé, soutenu par le “déchiffrage” mais aussi – vu le volume de cette critique – intimidé.

          Par ailleurs, “l’intimidation” peut paraître inhérente au grand-œuvre d’Arno Schmidt. On a pu voir là une stratégie d’effroi & de terreur. Le format, la publication en fac-similé de l’original reproduisant les différents caractères de machines à écire, les notations à la main, les collages, n’étaient certes pas ordinaires. La critique en rajouta, déclarant le livre illisible ou le présentant comme un défi à Finnegans Wake, ce qui reléguait de même ZT dans les sphères de l’illisibilité, et donc dans l’intraduisible. Philippe Lavergne qui donna une version française de FW, s’est vu contraint de produire un équivalent illisible au texte de Joyce : pourtant, pour produire l’illisible il lui avait fallu lire et comprendre. Il en va autrement pour ZT : il n’y a pas d’illisibilité, il y a des difficultés de compréhension quand le lecteur n’est pas suffisamment armé et qu’il n’a pas pris en compte le système narratif des colonnes. Rentrer dans ZT tient à peu de choses : comprendre l’organisation de la page, c’est-à-dire partir du milieu vers la gauche ou la droite, adhérer (provisoirement) à la théorie des étyms et comprendre bien vite que le dépiautage de l’œuvre d’E.A.Poe est une tentative d’auto-analyse.

          Difficile la traduction de l’allemand vers le français? Oui, elle l’est toujours, quelle que soit la nature du texte : qu’on pense seulement avec quelle souplesse on peut jongler en allemand avec des mots composés, créer des néologismes compris par tous. Pour forger un néologisme, le français est le plus souvent obligé de recourir à des racines latines ou grecques, et c’est un coup de force alors, puisque la grande majorité des locuteurs ignorent le latin et le grec ancien. On voit le résultat de cette méthode quand on l’applique systématiquement par souci “de vérité et d’authenticité” dans une traduction : cela donne ces récentes traductions de Freud qui vous font hérisser les cheveux sur la tête.

          Évidemment, quand on est en présence d’un tailleur de mots & architecte de la prose, les choses se compliquent à l’infini. Et pas seulement pour les grands tapuscrits de la fin comme ZT, L’École des Athées, Soir bordé d’or. Qu’on se remémore ces extraordinaires passages lyriques de Miroirs noirs, la scène du bombardement dans le Faune et cette langue prodigieusement concentrée des “photos” dans Pocahontas. Werner Riegel [2] l’a bien décrit : Schmidt suit à la trace August Stramm, l’assimile, le travaille, mais dès que Stramm rentre dans l’impasse, Schmidt fait deux pas en arrière pour trouver une issue et aller plus loin. Il suffit de penser à la quasi non-réception des expressionnistes allemands en France, et ce malgré les efforts d’Ivan Goll, malgré les grands travaux de Lionel Richard et de Jean-Michel Palmier : la langue française ne s’est que rarement frottée  à la prose et à la poésie expressionnistes et, surtout, n’en a nullement profité – et on comprendra alors le casse-tête que représente la traduction de ces textes.

          En repensant à mon travail je dirais : heureusement qu’il y avait Louis-Ferdinand Céline, le seul écrivain de ce siècle qui nous persuade que le français n’est pas encore une langue morte et dont l’énergie et l’audace – en particulier dans les descriptions de la trilogie (D’un Château l’autre, Nord, Rigodon) produisent une écriture souvent curieusement proche des grands expérimentateurs allemands du début du siècle, sans qu’on puisse dire s’il en avait pris connaissance – c’est plutôt improbable malgré son séjour d’un an à Diepholz (!) chez “le Rektor Schmidt” (!!). Oui, confronté à cette prose à la fois si puissante et si poétique des récits d’Arno Schmidt, j’allais (et je vais toujours) me ressourcer, dérober des paquets d’énergie dans la “caisse furifonde” de monsieur Louis-Ferdinand Destouches.

          À bien réfléchir, ces paquets d’énergie ne furent pas indispensables pour essayer de donner une version française du passage de ZT qui nous intéresse ici. La langue des dialogues est le Hochdeutsch parlé, presque “pointu”, en tout cas jamais populaire ou argotique. Ce “parler” est bien sûr admirablement rendu par la graphie propre à Schmidt. Mais on remarquera que cette graphie est moins sauvage, moins appuyée que dans bien des passages de Kaff, où elle sert au calembour ou à cette “Verfremdung”(rendre étrange, déréaliser) dont le mécanisme et la fonction ont été finement analysés par Doris Plöschberger dans ses Medienästhetische Überlegungen zu Arno Schmidts <VerschreibKunst> (in BB 222-224, janvier 1998). Le rendu du “parler” résulte ici, dans ce passage de ZT, principalement d’un travail d’élision & de syncope sur les mots, lequel, contrairement à celui de la “Verfremdung”, ne freine pas la lecture pour mieux imprégner le lecteur mais l’accélère, la rend plus rapide (je parle pour un lecteur qui aurait déjà les quelques 540 pages derrière lui!).

         On sait qu’en France “l’orthographe” (l’écrire correct) est un objet de culte et de débats passionnels. S’attaquer au “totem grammatical” (Antonin Artaud) revient à être en rupture de ban et relégué dans les sphères du “mal écrire”, du populo, du négligé. On tolère ces transgressions à la limite dans les “infralittératures” ou dans celles qui ont pour objet les bas-fonds de la société (Charles-Louis Philippe, Francis Carco, Pierre Mac-Orlan, etc.). Liées aux parlers des “classes dangereuses” ou au “babil apache” , les graphies transgressives sont tolérées. Mais bien que depuis deux siècles les livres voulant réformer l’orthographe soient aussi nombreux que ceux consacrés à la quadrature du cercle, il est inimaginable de transcrire un français parlé, respectueux des normes grammaticales, de la façon dont le fait pour l’allemand Arno Schmidt dans ce passage de ZT.

         Tout étranger qui apprend le français croit à un moment ou un autre perdre la tête devant l’arbitraire de l’orthographe; tout écolier se révolte à un moment contre sa subtilité et sa raideur, surtout quand il apprend (par le biais de bons professeurs) que ces aberrations sont au fil des siècles le fruit de prises de pouvoir de petits chefs et de lettrés en mal de reconnaissance : Raymond Queneau dira qu’elles sont l’expression des “ privilèges corporatifs” des premiers imprimeurs.

          Queneau, précisément : à la fois précieux et dangereux pour le traducteur de Schmidt. Avec son néo-français, Queneau chercha à revitaliser la littérature française en écoutant et en y intégrant la langue populaire. Queneau s’engagea dans cette voie moins par le biais de la graphie que par un travail sur la syntaxe. On sait qu’il renonça à cette cause en constatant l’emprise toujours croissante du français mort et figé parlé par les médias. Il n’empêche que cet esprit éminemment ludique ne manqua pas de nous laisser quelques exemples de transcriptions du parler avec une graphie assez efficace et savoureuse. Chez lui l’apostrophe de “p’tit” qui signalait le parler populaire dans les années trente disparaît pour donner “ptit”; “vous êtes marrant” devient “ vzêtes marrant”; “de l’air” devient “de l’r”; “je veux autre chose” devient “jveux ottchose”; etc. Puis viennent les célèbres hapax qui feront la fortune de Zazie dans le métro, les “Doukipudonktan” et autres “Skeutadittaleur”, ce qui donne traduit en allemand par Eugen Helmlé “Fonwostinktsnso” et “Wasdevorhngsagthast”, ce qui est assez convainquant. Pourtant, curieusement, Eugen Helmlé tient très peu compte des élisions et syncopes queniennes. Ainsi cet exemple : “Jvous répète, susurra Mado Ptits-pieds, vous mdites ça comme ça sans prévnir, c’est hun choc, jprévoyais pas, ça dmande réflexion, msieu Charles.”  Ce qui donne chez Helmlé : “Aber ich hab Ihnen schon gesagt, säuselte Mado Ptits-pieds, Sie sagen mir das so, ohne mich vorher davon zu verständigen, das ist ein Schock, ich hab das nicht voraussehen können, das muss bedacht werden, Monsieur Charles.” On voit qu’il ne s’encombre pas de la graphie si particulière et amusante de Queneau. Qu’en aurait fait Schmidt s’il avait traduit du français? Faut-il rappeler ici que Queneau est un des rares écrivains français contemporains à figurer dans la bibliothèque de Bargfeld ?

          Comment m’en suis-je sorti? En tout cas, une chose est sûre : puisqu’il faut que l’image du texte (vu le parti pris de le reproduction à l’identique du tapuscrit) soit la même en français, le traducteur se voit contraint de trouver les équivalents les plus courts qui soient, d’abréger, de raccourcir, pour éviter le dépassement inhérent à toute traduction “classique”. Mais comme souvent tel ou tel équivalent français est pour une raison ou une autre impossible à modifier dans sa graphie, cet effort doit se reporter sur d’autres mots ou expressions “raccourcissables ou agglutinables”. Cela dit, les procédés queniens s’appliquent encore aujourd’hui, à la condition d’avoir toujours à l’esprit que le lecteur français entendra tout de suite le parler populaire et reconnaîtra cette graphie comme quenienne.

          Ainsi entre ZT 547 et 549, quelques exemples de tentatives d’accélérations : j’écris “c t” pour “c’était”; “X’cusez” pour “Excusez”; “yapeuprès” pour “il y a à peu près”; “turellement” pour “naturellement”; “toudzuit” pour “tout de suite”; “maizalor” pour “mais alors”; “reusement” pour “heureusement”; “stadir” pour “c’est-à-dire”; “à steur” pour “à cette heure”; etc.

          Il existe bien sûr une phonétisme et une graphie bien plus radicalement cacographiques. Voici ce qu’on peut lire dans Dlalang [3] de Kati Molnár : “jerékapitul. IlyaDEUpon kiçurplomb laçènn, deu, kiçurplomb léchemindfèr, çaanfè déjakatr, ansuitt unmagazin midas, un marché franpri, unpetiçantr komèrcial, parayeur, onpass surunpondôtorout, onva troifoi toudroi, troifoi adroitt, cinkfoi agôch”, ce qui, transcrit dans une orthographe “normale”, donne : “Je récapitule. Il y a deux ponts qui surplombent la Seine, deux qui surplombent les chemins de fer, ça en fait déjà quatre, ensuite un magazin Midas, un marché Franprix, un petit centre commercial, par ailleurs on passe sur un pont d’autoroute, on va trois fois tout droit, trois fois à droite, cinq fois à gauche”. Cet essai plaisant et excitant témoigne d’une capacité d’écoute hors du commun et d’une intelligence non moins extraordinaire dans l’invention d’une notation inédite au système assez sophistiqué. Cela pourrait éventuellement se comparer au style de notation dans Kaff, mais en plus froid, avec moins d’humour et surtout présentant le grave handicap d’exclure a priori la VerschreibKunst (l’art du croc-en-langue) déjà présente dans le roman à deux colonnes avec – entre autres – le célèbre exemple de “Cream=hilled”.

          Car nous y voilà. C’est le deuxième défi pour le traducteur de ZT : trouver des équivalents aux Verschreibungen qui doivent faire affleurer à la surface du discours les fameux “étyms”. Ici la cacographie souvent gratuite et ludique de Kaff se veut raisonnée. Depuis sa lecture de Freud, Arno Schmidt croit savoir que dans le domaine de l’écriture rien n’est gratuit, rien n’est là par hasard, et c’est précisément cela que ZT entend démontrer. Tout fait sens, rien n’est innocent, il y a des mots sous les mots, il y a toujours anguille sous roche. Depuis son essai sur Karl May, Sitara, notre auteur ne veut plus être dupe : chaque mot doit cracher ce qu’il cache, c’est-à-dire les pulsions sexuelles plus ou moins inavouables de son auteur. Là où Freud  décelait dans les accrocs du discours parlé ou écrit  des symptômes d’une pathologie individuelle, Arno Schmidt déploie une lecture totalisante et inquisitoriale. Pour quelles raisons? Pour “assurer ses arrières”, pour se donner une nouvelle virginité? Dän Pagenstecher n’est-il pas “le maître des étyms” , c’est-à-dire celui auquel rien ne peut plus échapper, celui aussi – et c’est peut-être ça le plus important – qui ne peut plus “se trahir”? L’entreprise m’a toujours semblé à la fois émouvante et irritante. Le résultat n’en est nullement une “métalittérature” (aussi inexistante que la “métapsychologie” de Freud) mais un immense roman baroque comme on ne l’attendait plus : un monde de signes, de correspondances où tout fait sens, où sont convoqués, comme dans L’Anatomie de la mélancolie ou chez Montaigne (Arno Schmidt s’inscrit entre les deux : un sujet d’étude...), toutes les littératures et tous les savoirs.

         Pansexualisation de la langue dans le passage qui nous intéresse? On ne peut pas vraiment l’affirmer. Nombre de mots restent à l’abri de la contamination. C’est surtout le badinage de Paul Jakobi avec l’Obèse qui déclenche un feu d’artifice de Verschreibungen réussies et joyeuses. Ici le traducteur français se lèche les babines, car il trouve toujours ici ou là une solution rigolotte (car la Verschreibung “sexuelle” doit être un Witz, si elle ne veut pas être sinistre – “Nous avons constaté chez de nombreuses personnes cette tendance qui consiste à déformer des paroles anodines en obscénités dans le seul but de se procurer un certain plaisir.” écrit Sigmund Freud). Et l’orthographe rigidissime du français se revèle paradoxalement une mine pour ces manipulations; on pourrait même dire : plus l’orthographe est contraignante, plus les “crocs-en-langue” (Verschreibungen) sont jouissifs et faciles; la transgression en est d’autant augmentée (c’est aussi pourquoi le phonétisme pur & dur ne fonctionne pas ici). Et si l’on adhère au “Systeme of Dr. Dän and Prof. Paul” où il est dit en résonnance avec la citation précédente de S. Freud : “Car ce qui nous intéresse est bien comment il [E.A.Poe] a exploité littérairement ses perversions; cela demande à être examiné parce que cela permet éventuellement au practicien qui écrit lui-même de procéder au renversement de ce processus : pour introduire en fraude – tout en sachant que le rusé n’est pas forcément celui qu’on croit – des étyms dans l’Inconscient du lecteur afin qu’il adhère encore mieux à l’œuvre proposée.”[4], on peut affirmer que le seul substantif français “foudre” (Blitz) qui traverse tout ce passage est du pain bénit pour “the hidden persuader”, puisqu’il renvoie par paranomase au verbe “foutre” (“ficken”), paranomase encore renforcée par l’expression “coup de foudre”.               Trouver un équivalent absolument exact à une Verschreibung se révèle souvent impossible. Mais quand il s’agit comme dans la plupart des cas d’une sexualisation d’un mot ou d’une expression, les techniques qu’utilise Schmidt, la syncope ou le rajout d’une ou de plusieurs lettres, la permutation de deux lettres ou syllabes, la mise en relief en lettres capitales, le remplacement d’une consonne ou d’une voyelle par une autre, etc., fonctionnent plutôt bien en français. Là aussi le contexte immédiat peut être mis à contribution, lorsque l’équivalent trouvé paraît trop fade : la charge libidineuse se reporte alors sur un mot à proximité. Pour être complet et honnête, il faut reconnaître aussi que le français dispose d’un registre de mots obscènes et d’un lexique érotique assez considérables, et que bien des termes et des expressions sont “à double sens” dans un contexte érotique, au point que l’occasion est trop belle parfois  et que le traducteur peut en rajouter : ainsi in ZT 549 en haut : quand pour  “während die Fette wieder zu den Packtaschn gewätschlt war” j’écris : “tandis que l’Obèse s’était redandinée jusqu’aux sacooches”  je donne à voir les “oo” de la Dikke ainsi que les deux sacoches et donne à entendre “ça coche” et “sac hoche”. Les Verschreibungen <sobres> sont plus rares : ainsi mon “(ilsaraitalà)” pour “(furschdummde)”, où la <raie> se voit mais où le <dumm> (bête) disparaît.

          Les deux exemples suivants montent les difficultés, ainsi que  les ruses de sioux qu’on est obligé d’appliquer. À ZT 551, milieu : “ hätt’Er praktisch ALL’LASS geseh’n!” Et sous forme de notation manuscrite à droite “a lass?”. Que vais-je faire en français de cette <lass>, et d’ailleurs que fait-elle là? L’Obèse s’est-elle révélée être une “lass”; dans ce cas que serait le Jaune? Ou est-ce simplement une réminiscence des discussions sur le voyeurisme de Poe? Ou est-elle une “lass” parce qu’elle excite Paul? En tout cas, si je veux trouver un équivalent français (vu la notation de droite) je tombe obligatoirement sur “laisse” qui renverra aussitôt dans ce contexte à des pratiques SM dont il n’est nullement question ici. La solution que j’ai adoptée doit rendre le degré d’excitation de Paul : je traduis d’abord le premier niveau de lecture : “il avait pratiquement tout vu” puis je procède à la Verschreibung “il avait bracticquement tout vu” où “bracticquement” est un mot-valise réunissant “pratiquement” et “bracquemard” ( le phallus en érection, qu’il avait quelques instants auparavant) et le repentir sous le “v” de “vu” me permet de renvoyer à l’ambiguïté de “vu” et “nu” (c’est-à-dire qu’il aurait presque le bracquemard à l’air!).

          D’autres zobscènes sexemples : ZT 550, milieu : “(& P’s NächstbaRinne)” est traduit par “(& la voicilenœud de P)”. Si on ne voit pas la “Rinne” (la rigole, la raie) on en voit par contre “le nœud” (le clitoris) et en prime celui de P (c’est-à-dire son gland), et le lecteur entend bien sûr parfaitement la “voisine” (die Nachbarin).

           ZT 550, en bas : “die FurderVront” : là aussi le traducteur (that’s me!) en fait un peu trop en écrivant “sa fessade de 2vents”, donc une espèce de Venus callipyge à deux faces..

          Et puis pour finir ZT 550, milieu : “da P, unfurcunnbar, ander=weitend beSchäftigt war” que je traduis par “puisque P était incontesticulablement occulpé ailbeurs”, où rien que l’adverbe devient un mini-récit érotique, auquel je n’ai pu m’empêcher d’ajouter une petite touche parfumée.

         On voit là que le traducteur s’amuse et prend plaisir à la tâche, un peu comme Egg dans Soir bordé d’or, qui part à la chasse aux étyms dans les livres de cantiques. Je dois dire que cet exercice d’étymisation de la langue peut devenir une manie et être contagieuse. Qu’on me permette encore une anecdote personnelle : durant les années pendant lesquelles j’ai traduit Soir, j’ai habité une maison éclusière : au bord d’un c’anal avec une passe-sur-elle au milieu d’un triangle formé en Mos-elle par Phalsbourg (Phallsburg), Arzwiller (Arschwiller) et Lützelbourg ( Hützelburg = en alsacien “Le bourg des cochons”). Ces “lapsus” (Versprechungen) volontaires avaient été repris par tous mes amis proches et faisaient des “petits” dans les conversations . Moi aussi on a pu me voir arpenter les forêts en remuant les lèvres en permanence, m’essayant à des Versprechungen et à des Verschreibungen. J’en étais arrivé au point de lire les poésies de Mallarmé comme un fatras d’obscénités (ce qu’elles sont peut-être, après tout). Cette manie fut tenace, je dus me sevrer de cette hallucination permanente qui menaçait de tuer dans l’œuf toute nouvelle littérature qui se présentait à moi. Je parvins petit à petit à retrouver un équilibre dans ce que j’entendais et ce que je lisais. Et voici que récemment j’essaie de me connecter sur le web au site de la petite ville de Phalsbourg précisément, pour consulter le programme des manifestations culturelles (Erckmann & Chatrian, entre autres) et que m’arrive-t-il? : je me retrouve quasiment prisonnier d’un des plus grands sites pornographiques américains! Le moteur de recherche (Yahoo ou Lycos, je ne sais plus) avait sélectionné l’étym “fall/phall” et m’envoyait un flot continu d’étyms visuels d’une crudité et d’une vulgarité sans pareille!

         En France, certains ont voulu voir dans les grands tapuscrits de la fin, la tentative d’Arno Schmidt d’établir quelque chose qui serait le prototype de l’hypertexte. Je n’ai jamais adhéré à cette idée, considérant qu’elle subissait trop l’influence d’une phase destinée à être dépassée très vite par l’évolution des technologies. Mais là, c’était quasiment un retour du refoulé : cette bonne petite ville de Phalsbourg, aux marches de l’Alsace et de la Lorraine, se voyait transformée tout d’un coup en lupanar par la seule vertu de la première syllable de son nom (qui devait être un “Pfalzburg” dans le temps). Et l’internaute recevait ces images involontairement!  Les maîtres des étyms, ceux qui possèdent la quatrième instance, seraient donc les moteurs de recherche aux 120 000 fiches puissance 10 ?! (Proposition : créer un super-moteur de recherche, sur l’exemple du canadien Copernic et le nommer Dän ou DP.).

         Il y a bien sûr des Verschreibungen qui renvoient à des réseaux d’allusions plus subtils. Ainsi la mythologie et les références littéraires. En ZT 549 on peut lire : “ – roch schier dran : ! –) : “ – aso der Griff’ss ja ober=mies...” Que je traduis par : “la renifela : ! –) : “ – ase qu’il semble, la poignée est surminable...”. Dans ce “aso”, au-delà du “ass” on lit aussi “Asen” ce qui renvoie aux personnages Qwasor & Gwundel, c’est-à-dire à Quasir (Kwasir) et Gunnlod dans la mythologie nordique. Le premier est issu de la salive des Ases et avec son sang les gnômes Fjala et Gular fabriquèrent le Met qui rend poète quiconque en boit. Odin passa trois nuit auprès de Gunnlod, la gardienne du Met, le breuvage des poètes,vida tous les tonneaux puis s’enfuit sous la forme d’un aigle (wie ein Aar, comme un Aarno !). Dans ma traduction j’introduis le “Ase” avec la contraction de “à ce” et profite du verbe “renifler” pour introduire le Nifelheim (littéralement “la contrée des brumes”, en fait “le royaume des morts”). Le “jus gris” que boivent Dän & Paul est bien sûr ce Met qui provoque les métamorphoses poétiques qui suivront. En relation avec ce réseau narratif spécifique, avec ce niveau de lecture, se trouve également cette brochure “Über Nebelformen im Nördlichen Landkreis Celle” (“Des formations brumeuses dans le district nord de Celle”) et le “Nebelspezialist” (“Le spécialiste des brouillards”). Le dénominateur commun qui relie cette brochure et le “Nebelspezialist” à ces personnages de la mythologie est formé par les “Runen”, les runes historiques, attributs des dieux et les “Runen” du poète Otto Nebel, auteur de “Runen-Fugen”, “Runen-Dichtungen”dont on peut dire qu’il est vraiment le personnage tutélaire de ZT puisque le livre commence par le mot  Nebel et se termine sur une expression d’Otto Nebel. Et c’est ainsi que je le comprends maintenant à la relecture : “Über Etyms/Runenformen im Nördlichen Landkreis Celle” (“De la formation des étyms/runes dans le district nord de Celle”, lequel “district” est notoirement celui où habitait Schmidt). Je ne l’avais pas perçu à l’époque de ma traduction – mais comment aurais-je fait pour conserver le nom propre de Nebel?!

          On le voit une fois de plus : traduire, c’est avant tout lire et interpréter. C’est précisément ce à quoi se livrent Paul, Wilma et Dän pendant cette journéee dans la Lande. La tâche d’un éventuel traducteur de ZT consisterait donc aussi à lire et à interpréter la lecture et l’interprétation de l’immense corpus de textes d’E.A.Poe généralement placé dans la colonne de gauche. Ce n’est pas le lieu de discuter ici de la pertinence scientifique de la théorie des étyms – d’autres l’ont fait, et souvent avec brio, car comme je l’ai déjà dit, pour entrer dans ZT  il est indispensable d’en accepter la validité. Reste que cette analyse étymale acharnée et frisant parfois le  paranoïaque pose un certain nombre de problèmes au traducteur qui voudrait la “rendre”.

          Le traducteur français se voit d’abord confronté à un texte anglais retranscrit par l’auteur de ZT, lequel ne se prive pas d’intervenir dans la graphie des mots et de procéder à des mini-Verschreibungen dans le corps même du texte. Ce texte est entendu/écouté par les oreilles allemandes d’un traducteur de l’anglais, et les étyms qui émergent à cette occasion viennent le plus souvent d’un fonds commun à l’anglais et à l’allemand. Et quand d’autres langues – le latin, le français, l’espagnol, etc. – sont appelées à la rescousse pour affirmer la réalité d’un étym, ces langues, ces mots, passent aussi par le filtre d’une oreille allemande. (Je dois dire que quand il s’agit du français les rapprochements phonétiques mis à l’œuvre sont souvent ridicules !).

          Comment un traducteur vers le français peut-il se débrouiller pour rendre ces analyses étymales à partir de l’anglais? Hé bien, pour ma part, je me suis bien gardé d’essayer, et on remarquera que le passage du duel en compte très peu : qu’il commence après l’une d’elle et qu’il s’arrête avant la prochaine. C’est ce qui s’appelle “se défiler”. Les mêmes analyses dans Soir bordé d’or concernaient essentiellement un auteur allemand, Hackländer, que je traduisais donc en français avant de le soumettre aux sarcasmes olmersiens, ce qui me permettait de choisir les équivalents se prêtant le mieux à ce démontage. Et vu la grandeur du style hackländerien, ce n’était pas lui faire injure ou violence que de l’arranger un peu!

          Tous ceux qui se sont lancés et relancés dans la lecture de ZT savent très bien qu’à un moment ou à un autre, ils ont forcément “décroché” de ces analyses qui n’en finissent plus, quitte à les réserver pour une autre fois. Ce qui nous retient de décrocher est bien sûr la qualité de l’écriture de Poe; mais pour l’apprécier il faut aussi comprendre cette langue déjà ancienne et qui joue souvent avec des allusions littéraires, quand elle n’est pas franchement parodique (cet aspect parodique ne devrait-il pas, soit dit en passant, invalider les analyses étymales?). Le lecteur allemand pratique en général bien l’anglais, il le parle et le lit. Mais que dire du français confronté à la masse de textes anglais dans la colonne de gauche de ZT ? À cet endroit, un traducteur est en droit de se demander si cet effort gigantesque qui consisterait à rendre la vision étymale du texte anglais par Arno Schmidt vaut la peine d’être tenté pour les rares lecteurs français capables de suivre et de comprendre le texte d’E.A.Poe. Il lui faudrait pour cela une abnégation sans pareille pour un résultat à la portée somme toute très limitée.

          Au-delà de ce constat pessimiste, ne sommes-nous pas simplement en train de nous apercevoir que ZT pourrait constituer un terrain d’expérimentation pour les théories de la traduction? Et qu’en retour, la théorie des étyms n’aurait jamais vu le jour sans la problématique de la traduction?

          Et voici qu’une idée perverse surgit dans l’esprit pervers du traducteur ... On peut affirmer sans trop exagérer que les écrits d’A.E. Poe, tels qu’il nous les a laissés, n’existent pas en France. On s’y souvient vaguement que, oui, un Américain alcoolique et halluciné aurait inspiré trois œuvres géniales de la littérature française : Les Histoires extraordinaires de Charles Baudelaire, un recueil de poèmes décadents & époustouflants de Stéphane Mallarmé, et Au sujet dEurêka, un sublime essai poétique de Paul Valéry. Pour preuve : ouvrez voir les Oeuvres complètes de Baudelaire, tout y est : Histoires extraordinaires, Nouvelles histoires extraordinaires, Histoires grotesques et sérieuses, Gordon Pym,etc.! Le lecteur aura deviné : il s’agirait de mettre dans la colonne de gauche de ZT  les versions de Baudelaire et de Mallarmé et de “traduire” l’analyse étymale en respectant ce qu’il faut bien appeler l’interprétation obsessionnelle d’Arno Schmidt et ses “diagnostics” sur les prétendues perversités d’E.A. Poe ....

          L’idée reste à creuser, et dans le contexte de ZT elle n’est peut-être pas si illégitime qu’il y paraît. Reste à trouver le pauvre inconscient qui se risquerait dans cette aventure. Quel scandale! Quel sacrilège! S’attaquer avec tant d’impudence à notre sacro-sainte littérature, aux trois piliers de la foi du bien écrire (ou même de l’écrire per se). Arno Schmidt serait sans doute immédiatement mis à l’index. Quant au traducteur? Mon Dieu! – Je sens d’ici déjà l’odeur du fagot – qu’il prenne soin de s’amménager un cratère sur la Lune!

                              With a slight sigh

                                                                                Claude Riehl 


Notes

[1] Antigone. Revue littéraire de photographie. N° 19, De la foudre. Aigremont-Lédignan, 1994.

[2] Werner Riegel : Arno Schmidt. Porträt eines Dichters, in Jörg Drews, Michael Bock : Der Solipsist in der Heide, edition text + kritik, 1974.
[3] Kati Molnár, Dlalang; in Revue de Littérature Générale, n°2;chap.25; P.O.L. Paris; 1996.

[4] ZT 529, en haut.

Ce texte est la version française d'une contribution au recueil d'études sur Zettel's Traum paru en allemand au début de l'année : "Des Dichters Aug' in feinem Wahnwitz rollend ...". Dokumente und Studien zu "Zettel's Traum". Herausgegeben von Jörg Drews und Doris Ploeschberger, edition texte + kritik, 2001.