Tijl FIASSE : Dialogues kalten-haguois. Un commentaire-bouffe de "Soir bordé d'or".
Tableau 1
Grabi contemple le ciel bleu royal par-delà les immeubles (vilains) ; se balade, flâne, essaie tout de même, voir un peu, sil ny aurait pas quand même moyen daller lire quelques pages de Maurice Scève dans lune ou lautre bibliothèque. Sans doute que non. Tant pis, on se dépêche, on a rendez-vous avec ce type qui vous fait peur avec ses Ah ! Ah ! Jahnn. Cette fois-ci, au moins, il a étudié sa leçon. Métais même acheté un lutrin, pensez ! | Lawrence, couché dans le gazon dun quelconque parc de la même quelconque ville avec 3 litres de mauvaise piquette allemande dans le bide, se souvient de son voyage de ressouvenances nostalgiques, programmé depuis longue date dès avant le départ pour latoll donc. Il se souvient avoir revu sa magnifique maison. A Corfou. Dans un car. De touristes allemands. Et dici vous pouvez contempler la maison dun célèbre écrivain irlandais. Remarquez la vue plongeante sur la plage. Les touristes ? Sen fichent, nattendent que la pause pipi et le prochain village où, paraît-il, on fait dexcellentes pâtisseries. Oui, ma meilleure maison, ça. Quoique, aujourdhui, je prendrais le nord de lîle, mm, Roda peut-être. Ya personne, coûte rien, on a pied dans la flotte jusquà cent mètres et on voit les montagnes dAlbanie. Merde ! Lautre Hongrois dément ! Se dépêcher donc. | Miklos, fils dun peuple étrange, occupe un des fauteuils en osier dun hôtel luxueux : il est sur un coup. Une tapée qui se fait inscrire partout comme <comtesse dOhio>. Viendra pas. De toute façon, ya les deux autres. ATTENTION : Miklos a une extase : il est dans un château, en Prusse. Le vieux comte lui avoue passer une grande partie des ses matinées à buter du bolchevik (en carton) avec son canon miniature qui tire des boulets en mousse. Le problème, explique-t-il à Miklos, cest que, après ses pilules, il na pu envie, comme dirait sa fille Martina, qui dailleurs lui cause de grands soucis. On laura compris, Miklos a le cerveau qui tourne vite. Quon se figure, en lespace de quelques minutes : il opère une démarche imaginaire de séduction auprès de la comtesse dOhio, discute avec le Prussien gâteux, établit toutes sortes de nouvelles théories sur les causes et effets du teint mat des femmes hongroises, prie dans une église orthodoxe au 6e siècle, sentretient du problème moral de la perspective avec André Roublev, etc. Il est temps de se diriger vers la taverne où, comme sen doutera le lecteur perspicace, il a rendez-vous avec les deux autres. |
(Un peu plus tard)
MIKLOS (se lève, grimpe sur la table) : " A nouveau réunis, nous voici ! Pour célébrer le livre dArneaux le Forgeron à la gloire dune Artémis luxembourgeoise dà peine 20 printemps, nous voici ! Réjouissez-vous, mes amis ! Et que les dieux délient notre langue Tss ! Rassure-toi ; sera pas long cette fois-ci ! à laide dun breuvage hydromélique ! "
LO (Affalé) : " Ouips ! On cofmmandpte ! Tu prends quoi, Grabi ? "
GRABI : " Un verre deau, ce sera bien "
LO : " Tu vas rouiller ! Leau, cest fait pour slaver, petit ! Soit. Hep ! Aubergiste ! Euh... Vous nous mettrez deux demis et un verre deau pour le ptit. Tendez ! On se comprend bien, hein ? Des demis, ce sont des demi-litres, hein ? Bon, parfait. "
MIKLOS : " Vous ménervez déjà, vous ! " (Se penche vers ses deux vis-à-vis (Il trône sur la banquette ; les autres sur des chaises) : " Vous savez pourquoi nous sommes ici, spas ? <Soir bordé dOr>, mm ? Examiné par nous autres et nos intelligences perspicaces, mm ? ttention, 22, vlà Powys ! Non, je plaisante.... Zavez eu peur ? Aaaaaaaah, il a pourtant promis quil viendrait pour certains passages... Personnellement, malgré ma charité légendaire, jaurai vraisemblablement des difficultés avec celui-là. " (Déçu quils ne comprennent pas :) : " Ben : deux exhibitionnistes du verbe (et de leur propre psyché) ensemble, ça ne va jamais ! Enfin, on verra bien. "
LO : " Quoi ! On va devoir se farcir les mille pages de ce truc... Et Friar John le barde animiste en plus ! Nai jamais compris comment Miller... Bah, tant quà faire ! De toute façon, on semmerde là-haut... Dites : comment ça va chez nous au fait ? Toujours en cuisine lautre ? "
GRABI : " Claudel ? Plus que jamais dans la choucroute ! Corvée de vaisselle depuis quil a traité Saint Paul dhérétique. Et avec ça, lui et Bloy ont enfermé dAubigné dans les cabinets. "
MIKLOS (sesclaffe) : " Ho, dis ! Lo ! Tas pas la meilleure ! Grabi qua chipé la trompette dun des anges musiciens ! Et de gambader comme ça, turututu, entre les tables, à imiter son Gillespie avec ses grosses joues, et Tertullien quen a pissé dans son froc tellement quil nen pouvait mais. "
LO : " Eh ben, eh ben ! Je vois quon sait toujours samuser là-haut... Autre chose : jai entendu dire quon parlait beaucoup de restructuration ces derniers temps. On pense à bannir les Meslier, Schmidt, Piron et autres parce quils refusent la camaraderie ! "
GRABI : " La camaraderie ? Tiens... cest vrai que je nai pas vu une seule fois Arneaux à la cantine depuis quil est parmi nous. Lui ai même jamais adressé la parole, à Schmidt ! " (Angoissé/curieux :) " Et vous ? "
(LO & MIKLOS : haussement dépaules.)
MIKLOS : " Bon, allez !Hop, Hop ! Son livre ! Le meilleur, soit dit en passant... Dans le genre long en tout cas.... Le plus maîtrisé certainement... Une quelconque remarque à faire touchant lensemble, le style, la structure OU AUTRE CHOSE ENCORE ? "
GRABI (excité comme une puce) : " Oui ! Jarrive pas à le lire à voix haute ! "
LO (coup doeil à Miklos : " Puis-je ? ". Cest bon, vas-y.) : " Arno Schmidt... Non ! Différemment : après avoir, avec toute la meilleure volonté dont je suis capable, essayé de lire à voix haute Jack Kerouac même avec un pouilleux accent américain je me suis aperçu que cétait réellement de la merde... Pourquoi ? Parce que cest REELLEMENT du style oral ! "
GRABI : " Mais... Et Céline ? "
MIKLOS : " Céline ? Un
maniériste ! Aussi Jean de Sponde que moi Richard Crashaw !
............ (Tas quà lire lencadré !)....... Voilà ce quil
dit ! Et pensez que ça ne concerne que le voyage ! Que dire de <Féerie pour
une autre fois> ou <Guignols Band> !" GRABI : " Mais, Raymond Queneau... " |
<On a tout dit quand on a proclamé que jai moi AUSSI (comme les Américains, évidemment !) écrit des livres en langage parlé. Tout le secret ! Archi-benêts ! Il sagit de tout autre chose : dun langage rythmé interne sans défaillance sur 603 pages ! Allez-y ! Essayez !> Destouches, Op.cit. ailleurs (Oui : faut toujours demander Roger à Meudon) |
LO : (" Mon pauvre petit ") : " A avoué lui-même quil sétait tout à fait fourvoyé ! Langue morte que cest en fait, les bons livres ! "
MIKLOS (et que je te relève le niveau) : " Quand, dans la cour de récréation, un prosateur essaie de faire comprendre à ses semblables que la prose est susceptible de traitements tout aussi intéressants et profitables que la poéééésie, les poéétes ricanent sur le banc et les autres continuent à jouer au football. Et quoiquils ne soient pas nombreux à avoir essayé, ces prosateurs sont des " goujats ", des " malotrus ", des " pour qui se prend-il "... Seule la poésie connaît le rythme, disent-ils... "
LO (moi aussi, je lai, le niveau !) : " Or, à moins de navoir jamais rien entendu aux lettres, je ny ai jamais vu que des cadences, dans la poésie. Du rythme ? Jamais de la vie ! "
MIKLOS (hum ! On doit pas parler du même niveau...) : " Outre le fait que la poésie ne connaît pas le rythme, cest du grotesque le plus sauvage quand un poète dit vouloir rivaliser avec la musique ! Pas damplitude, pas de timbre, tout récité de la même voix monocorde et pontifiante. Dans <Soir bordé dOr> ( De quel niveau parlons-nous ? : " et dans dautres exemples en prose que je vous laisserai chercher vous-même ") nous avons le timbre, lamplitude et le rythme ! "
GRABI (parlez de niveau, vous autres farceurs... ) : " Mais le rythme est une notion sémantique qui précède le signe linguistique nom de Dieu cest pour ça que je nen mets pas moi de ponctuation que ça précède le signe linguistique que jen ai lu chez Benvenuto Ebéniste. "
MIKLOS : " Peut-être. Pas pour Schmydt en tout cas. Enfin : le problème est délicaaat, méritait quon le soulevât, il nous en remerciera mais trop compliqué pour moaa... " | <A vrai dire, je serais bien embarrassé de vous citer, dans lhistoire de lart, un seul fait qui soit qualifié de révolutionnaire.> Ivo Straffwhiskey |
GRABI & LO (colères : " Quest-ce à dire ? Nos propres livres sont-ils mauvais ?) : " ! ; ! ! ; je dirais même plus Lo : ! ! ! Nous attendons des explications, Miklos ! "
MIKLOS (serein) : " Je dirai deux choses : 1) les bons prosateurs sont très rares plus que les bons poètes ; 2) le rythme est incrusté dans la tapisserie de <Soir bordé dOr>, de sorte que nous pouvons, pour une fois, considérer objectivement et je suis lassé des métaphores sur la " petite musique " des livres de celui-ci ou celle-là que cette farce/féerie présente des registres et des tons que le lecteur peut typographiquement déceler. Dès lors, il nest pas impossible de lire ce texte à voix haute, mais il y faudrait un ventriloque également capable de travailler sur les mimiques & autres froncements de sourcils. Bien. Inutile de nous appesantir plus longuement sur le reste. Le livre, son format, sa période de rédaction : laissons, vous connaissez cela... "
GRABI : " Allons-nous donc indubitablement violer dame Folie et vouloir trouver ici une cohérence historique et une grande composition POETIQUE ? "
LO : " Nous allons essayer... Bah, tant quil y a de la farce et de féerie... Termine ton eau, toi ! "
MIKLOS : " Ainsi donc nous voici à nouveau réunis ! -------- "
LAUBERGISTE : " Sil vous plaît, monsieur. Cest ici un établissement respectable... "
MIKLOS : " Comment ? Jai dû mal entendre... A moi, Miklos de Budapest, on ose me dire que je crie dans les tavernes ? Eh bien vous avez raison, mon chauve ! Messieurs, levons le camp ! " (A laubergiste : " serviteur ! ") " Retrouvez-moi demain matin à Renipont plage et nous ferons ensemble connaissance avec la petite aux jambes en X ! "