Tijl FIASSE

Une curieuse rencontre épistolaire.

Il m'est arrivé, voici bientôt deux semaines, de recevoir une lettre fort étrange d'un individu que je nommerai André Bouchon - il préfère taire son identité. Après mûre réflexion, je me suis décidé à la livrer aux lecteurs qui auraient conservé un peu de temps pour consulter le site francophone sur Arno Schmidt. Je dois avouer que c'est avec une douce hilarité que je me suis permis de ranger cette missive dans mon classeur destiné à cet effet. J'espère que cette petite nouvelle ne s'offusquera pas de côtoyer ses sœurs dans le courrier des lecteur de Miss Lonelyhearts ! Je vous la donne donc en franche rigolade. Cette lettre étant assez ennuyeuse pour quiconque n'est pas un amateur de ce type d'humour involontaire, je me suis autorisé à supprimer les passages gonflants pour les remplacer par des citations qui, parfois, expriment le contraire de ce que pense notre Bouchon.
 

Mon cher ***.,

C'est avec une stupéfaction certaine et tout à fait à mon grand regret que je me suis vu suivre vos conseils - et vous savez que ce n'est pas dans mon tempérament de me laisser mener à la baguette ! - et que j'ai donc lu attentivement les oeuvres traduites en français de ce Arno Schmidt ; ce qui appelle de nombreux commentaires de ma part, mais laissez-moi, en guise d'avertissement, vous dire ceci : la teneur de ce qui va suivre - et j'espère que vous aurez assez de philosophie pour passer outre - n'est pas d'un admirateur.

Pour commencer, je dois confesser que tout ne me rebute pas dans cette oeuvre ; ou plutôt, pour dire les choses de manière précise : j'apprécie assez la progression vers l'impersonnalité et la distanciation dont témoignent ses récits. J'ai en effet grand' peine à supporter la vessie gonflée des narrateurs de la première période......................
...................................................................................................................................................................................
...................... mon idéal artistique visant à l'objectivité absolue, ............... mon intérêt certain pour la collecte des matériaux dans les bizarres tapuscrits de la fin....................... Mais le résultat final ! Quel subjectivisme scandaleux ! Et passéiste de surcroît !............................................................................. Tout cela pour dire que nous sommes loin des belles pièces montées de John Dos Passos et de mon cher ..............................................

 
 
Pour l'homme normal, ce qui symbolise une maison ce n'est pas la machine qui en a produit les poutrelles, c'est tout simplement l'image mentale de ce qu'il a toujours considéré comme une maison, une image visuelle qui n'a rien à voir avec les techniques de charpente. Comment, dès lors, le symbolisme forcé et artificiel des modernes peut-il être autre chose qu'une farce lamentable ? Ils lancent de nouvelles esthétiques à base de cônes, de cubes, de triangles, de roues dentées, de courroies, de cheminées d'usine, de moules à saucisse aérodynamiques - autant d'impossibilités euclidiennes et de cauchemars d'ivrognes - et ils nous disent que ces choses sont les seuls symboles authentiques de l'époque dans laquelle nous vivons. Mais qui diable considère sincèrement, au plus profond de ses sentiments, que ces choses sont les forces maîtresses qui sous-tendent notre environnement ? Il ne faut pas longtemps au bon sens pour balayer toutes ces errances ridicules et inadmissibles. Nous ne possédons pas même les cerveaux nécessaires pour pouvoir concevoir des formes extérieures qui puissent être le reflet profond et permanent de leurs composantes internes et des procédés ayant présidé à leur construction ! H.P. LOVECRAFT, <<Héritage ou modernisme : l'intelligence de l'art>>
 
.........vous communique ici que les impressions premières - vous vous en douterez.................
Passons sur les scènes cartoonesques d'orgie - il en faut plus pour m'irriter les cellules nerveuses....................
.................................. Qu'essaie-t-il de provoquer en moi avec ses Grete, Lore, Babilonia et Cie ?.....................?............. De la concupiscence ? Jamais de la vie !................. C'est de la compassion que j'éprouve pour ces pauvres créatures ! Et quel étalage de mauvais goût !......................................................... ..............Que le Seigneur me pardonne, mais je suis heureux qu'il soit mort relativement jeune... Dieu sait ce qu'il nous aurait encore préparé comme roman pornographique ! Les <Maîtres-nageurs du Venusberg>, peut-être ?
 
Un love-in est un événement très dramatique, au cours duquel une bande d'ados, parfois d'adultes, souvent attardés mentaux, se réunissent dans un endroit public et prétendent s'aimer les uns les autres, afin de prouver au monde que l'Amour existe encore. Mais aucun d'eux n'y croit vraiment, et je pense qu'il vaut mieux qu'ils n'y croient pas, parce que, s'ils y croyaient, leur cas deviendrait grave. FRANK ZAPPA
 
Elles sont toutefois intéressantes en ceci ces scènes d'orgie qu'Arno Schmidt se révèle un sociologue de première importance. J'ose dire que, dans le domaine de l'exploration du désarroi de la jeunesse actuelle et leur recherche de spiritualité, cet auteur se hausse au niveau des plus grands auteurs engagés !.....................................

Pour quelqu'un qui, comme moi, ressent une compassion universelle et pleure de gratitude en lisant les poèmes de Marie Noël, vous comprendrez que je ne peux tolérer cette escalade dans le cynisme qui s'affiche dans tous les livres de ce monsieur ! Dormait-il donc mal ? N'avait-il aucune espèce de sens civique ? Et la reconstruction de l'Allemagne, y pensait-il ? Nous autres, qui pensons que l'humanitaire a peut-être encore un sens, savons que les ingénieurs de chez Mercedes ont fait plus de choses pour les braves gens que les... Laissons cela ! La colère m'étouffe.............................................. excellemment résumé mon ami le professeur Terry Eaglepound de Cambridge, jusqu'à quand autorisera-t-on ces gens à coucher sur le papier leurs problèmes de puberté non-résolus alors que certains meurent de fin dans le monde ?......................

 
Le point de vue qui rallie aujourd'hui tous les suffrages, que mieux vaudrait sacrifier le musée de Vatican, mettre le feu au Louvre, si cela pouvait sauver la vie à des millions d'enfants en bas âge, voilà de ces arithmétiques insolubles telles qu'en produit cette frénésie de se reproduire ; mouchez-vous donc, tas de salauds !... Horreur de la félicité ? Horreur de la vie que vous avez pris l'inqualifiable réflexe de piétiner tant elle est devenue pour vous synonyme d'injustice, de scandale, d'atrocité. Vous ne dormiriez pas tranquille le jour où il n'y aurait plus de tortures, de bourreaux, d'extermination à dénoncer - et le jour où cela se passerait dans nos rues, dans nos maisons, dans nos chambres, j'en connais plus d'un qui prendrait l'avion pour le Venezuela. KLOSSOWSKI, <La Révocation de l'Edit de Nantes>
 
Mais, vous savez, mon cher ***, ce que me chagrine le plus est son - oserais-je le dire ? - antisémitisme. Parfaitement, monsieur ! On ne me la fait pas. Avec la lucidité que j'ai acquise grâce à mes études de germanistique lors d'un séminaire en Allemagne de l'Est, on m'a appris à les repérer, ces salopards !.............. Comment je l'ai deviné ? Ah, ah ! mais Kafka, monsieur !....................................... Je m'explique : trouvez-vous normal qu'alors que pour le monde entier Franz Kafka est LE génie de la langue allemande de ce siècle, je ne relève qu'une seule mention péjorative de cette oeuvre grandiose chez Arno Schémidt !...................................................... Et puis, il y a l'oeil gauche, monsieur... un oeil gauche d'une telle méchanceté ne peut appartenir qu'à un xénophobe !
 
" ...courir m'offrir à Gallieni... Je l'ai connu !... Polytechnique !.... Et puis n'est-ce pas... la réflexion... J'ai mieux à faire ! avec mes dons !... mon oeuvre ! mes travaux ! mon Kaff !... Attention !... Au fait !... me voici !... "Il me tend sa carte.ARNAUD OTHON DE SCHMIDTPrOEspecteur de cadavres,Explorateur des aires occultes,Astronome initié." Ce nom ne vous dit rien ? Evidemment !... "Je reste coi..." Je m'en doutais... Jeune et ignorant !... Tout y est !... L'un rejoint l'autre !... Fouqué, Monsieur, c'est moi !... Les connaissances de Fouqué ? Toutes les connaissances de Fouqué ? Là ! vous m'entendez !... elle sont là ! "................................................................................................................................... Il me toise." Goethe ?... Etrange !... Etrange !... "Il se ravise." Au fond tant mieux !... " A l'oreille : " Quel charlatan ce Goethe !... Quelle canaille !... C'est tout !... Entre nous !... Un clown !... Quel vantard ! Oh ! là là ! " Il s'esclaffe rien que d'y penser ! à ce Goethe ! Il glousse... Quel Goethe ! Quel escroc !... Sacré Goethe ! Vendu Goethe !... Quel traître !...Je prends le même ton. J'approuve... je ricane..." Oh ! là là ! Quelle frappe ! quel écoeurant ce Goethe !... "Ah ! il l'avait sur la patate le Goethe en question, il n'en sortait plus ! ça lui donnait le mauvais oeil, le regard assassin, rien que d'en parler !... de ce Goethe effroyable !... et je m'y connais moi en regards !...Louis-Ferdine Destouches, <Mes pérégrinations>, conservé dans le bistrot *** à Meudon (Pour consulter, demander Roger)
 
Enfin... Je ne vais pas m'éterniser sur un cas aussi désolant pendant des lustres. Je me propose simplement de dire que cet auteur est également d'une inintelligence linguistique monstrueuse. Comment peut-on, en effet, consacrer tant de temps à un sinistre sire tel Edgar Poe ?............................................ N'a-t-on pas depuis longtemps démontré qu'il ne vaut pas tripette ?...............................................................................................

La critique actuelle - la belle affaire ! - en considérant que beaucoup de choses relèvent de la parodie chez Poe scie - permettez-moi de le dire - la branche sur laquelle elle est assise. Je veux bien qu'un nombre de contes pastichent les auteurs à la mode de l'époque - Bulwer, Disraeli - mais quand on ne sait pas au juste quels contes ! C'est le pompon ! Et que penser du fait que Baudelaire, Mallarmé et Valéry aient pris cette oeuvre tellement au sérieux ? Etaient-ils séniles ?................... ?........... ?...................... ! ! !. Non, monsieur ! Ils étaient les dindons de la farce d'une réputation biographique ! Tout comme vous, monsieur - sans offense ! - êtes victimes de la réputation de ce dégoûtant Schmidt !

Je vous prie d'examiner la présente avec les autres admirateurs de ce détestable individu et de me faire part de vos commentaires éventuels.

En vous enjoignant à revenir à des lectures plus profitables et éducatives, je vous prie de croire, mon cher ***, etc.

ndlr : en m'informant plus avant, j'ai découvert que l'auteur de cette lettre, grippe-sous hypocrite, préparait un roman à succès qui lui permettra peut-être, si le succès est effectivement au rendez-vous, de ruminer ses idées noires sur une île privée en compagnie de danseuses yéménites. La partie de texte que j'ai dérobée dans son tiroir ne présentant qu'un intérêt tout relatif, j'ai, encore une fois, supprimé les passagers qui m'énervent. On constatera néanmoins que tous les ingrédients du Best-Seller sont au rendez-vous : saphisme, science-fiction, sentimentalisme, mystère à deux balles... A bon entendeur.... voici :
 
<<22 juin 2021 - 
système chronologique terrestre
Douce amie, 

Voilà bientôt six mois - je ne puis  
me défaire des habitudes - que nous faisons voile vers Aldébaran ; j'ai grand' crainte de la façon  
dont ma - certes tardive (Me pardonnerez-vous ?) - missive vous parviendra... Les sujets se  
chevauchant dans ma pauvre cervelle, je ne sais comment vous faire le récit de mes raisons ;  
d'autant plus qu'il y a fort à penser qu'un tel envoi laisse supposer une intention canulardesque de  
ma part. Songez qu'il n'en est rien, madame ; je vous prie, nos étreintes passées en gage vous  
resteront, de croire la véracité de la présente............................................................................  
Un soir que nous revenions d'une balade en bicyclette, alors que je venais à peine d'entamer ma  
douzième année, notre père nous présenta, à notre frère et à votre servante, un curieux homme,  
répondant au nom étrange de Don Omen Hervas.......................................................... Mais, à  
quoi bon conter nos fréquentes rencontres ? En un mot comme en mille : nous devînmes amants -  
pour la plus grande joie de son épouse, qui partageait assez votre goût des jeunes filles bien faites  
et potelées........................................................Dans  
le plus grand secret,...................................., Don Hervas,  
....................................................................................., en touts points pareils,  
d'aspect extérieur, à un galion  
<Renaissance>,................................................Prodige.....................  
scientifique !.................................... " Aaah, Aldébaran !  
"........................................................................................." .......à moitié nues du matin au soir  
vous dis-je ! ".........................................................>>

 

Texte original © 2001 Tijl FIASSE
TEXTES HOME